Eudes Girard, « Le cognac : entre identité nationale et produit de la mondialisation », Cybergeo: European Journal of Geography [En línea], E-Tópicos, Publicado el 07 abril 2016, consultado el 29 agosto 2024.
"Au sein de cette longue histoire du cognac, la période de l’occupation occupe une place singulière. Le cognac fut effectivement l’une des productions les plus convoitées par l’armée allemande pour être envoyée auprès des officiers combattant sur tous les fronts et notamment en Russie. Face aux exigences de l’occupant, les maisons de négoce Hennessy et Martell s’organisèrent. Ces deux principales maisons de négoce que l’on présente traditionnellement comme concurrentes et rivales ne l’ont, en fait, pas toujours été. Elles surent nouer des alliances matrimoniales et commerciales pour résister à la crise des années 30 puis aux exigences de livraison de l’occupant allemand pendant la Seconde Guerre Mondiale. Alors que Paul Firino Martell était maire de Cognac une première fois entre 1929 et 1932, puis de 1935 à 1945, Maurice Hennessy resta le véritable leader des négociants de cognac. Ce dernier eut l’initiative de créer en janvier 1941 un «bureau des répartitions» permettant aux différentes maisons de cognac de répondre aux exigences commerciales de l’occupant tout en préservant leur stock d’eau de vie nécessaire à de futurs assemblages. L’occupant allemand en la personne du lieutenant Klaebisch nommé «Weinführer» dans la région de Cognac était effectivement chargé de gérer l’approvisionnement de l’intendance de la Werhmacht en cognac. Ce choix n’était nullement le fruit du hasard mais s’appuyait sur le fait que les parents du lieutenant Klaebisch avaient acquis en 1900 la maison de négoce Meukow avant qu’ils n’en soient dépossédés en tant que citoyens allemands en 1914 lorsque la guerre éclata. Gustav Klaebisch était d’ailleurs né à Cognac et connaissait fort bien les ressorts de l’économie du cognac. Pendant l’occupation les flux commerciaux furent donc accaparés au bénéfice de la Wehrmacht et les exportations vers les autres pays ne représentaient plus qu’à peine 20% du volume total de production. Pour certains historiens et acteurs économiques locaux les négociants, grâce à ce bureau de répartition, purent exercer une véritable «résistance économique passive». D’autres, comme le journaliste américain Kyle Jarrard du International Herald Tribune, soulignent au contraire dans son livre Cognac la saga d’un esprit (2007) que certaines maisons de cognac surent profiter des commandes de la Wehrmacht pour prospérer et s’enrichir. Quoi qu’il en soit lors de la libération, le maire de la ville Paul Firino Martell jugé trop proche des allemands et du weinführer Klaebisch, fut arrêté quelque temps, puis relâché. Son nom reste d’ailleurs aujourd’hui attaché à une artère majeure de la ville. Le comité départemental de libération avait également pensé à imposer une taxe sur les maisons de négoce qui avaient le plus répondu aux sollicitations commerciales de l’occupant mais cette dernière ne fut finalement jamais mise en place. L’après guerre n’en constitue pas moins un tournant : un nouveau maire SFIO fut élu en replacement de Paul Firino Martell, et en 1947 l’alliance commerciale des maisons Martell et Hennessy fut rompue et chacune retrouva sa totale indépendance juridique…bientôt au profit d’Hennessy. L’histoire de l’occupation, et la compromission de certains avec les allemands, reste en fait une question sensible dans le cognaçais."
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