dimanche 14 mai 2023

Adolphe Weber, « Une page d’histoire. L’oeuvre de Tarsac (Charente) de 1851 à 1863 ou les obstacles à l'évangélisation », Cahiers de l’Évangélisation, N° 14, 1931.

L’oeuvre de Tarsac (Charente) de 1851 à 1863 ou les obstacles à l'évangélisation.

Avant de dépendre de la section de l'ouest de la société centrale, l’œuvre de Tarsac était rattachée à la section de Paris. C'est cette période de son existence que nous allons essayer de relater. Dans le courant de l'année 1851 M. le pasteur Guy, président du consistoire de Jarnac, recevait et transmettait au comité de la société centrale une pétition portant la signature de 60 pères de famille représentant 233 individus appartenant à 5 communes des environs d’Angoulême et dont la principale était St Saturnin. Les signataires demandaient instamment des instructions évangéliques, dont ils déclaraient avoir le plus grand besoin. Ils affirmaient n'être mués que par des motifs purs, en particulier celui de s'occuper de leur salut éternel, et offraient, si le consistoire accédait à leur demande, de fournir un local central, à portée des diverses commissions pour servir de lieu de réunion et de culte.

La commission permanente venait de recevoir de M. et Mme Eyssard un don de 1500 francs pour une œuvre semblable à celle qui s'offrait St Saturnin: elle mit immédiatement la somme de 1500 francs à la disposition de M. Guy, après avoir vainement cherché un ouvrier pour le poste à créer dans la Charente. M. Guy  observait qu'avec cette somme il ne voyait pas la possibilité de ne rien faire à St Saturnin.


Le comité n'hésita pas alors à déplacer momentanément M. Chottin, qui, à Siouville (Manche), s'occupait d'un petit troupeau sortie du catholicisme, et dont le pasteur de Cherbourg, M. Robineau, assumerait la direction pendant l'absence de son conducteur. Chargé par M. Guy de procéder à l'installation de M. Chottin, M. le pasteur Benoit, d'Angoulême, fit paraître dans "le témoin de la vérité", le compte rendu suivant de la cérémonie: "il y a une année déjà que certain nombre d'habitants de Saint-Saturnin et des communes environnantes, s'adressèrent par pétition au consistoire de Jarnac, pour obtenir l'établissement au milieu d'eux, d'un culte évangélique et aussi l'envoi d'un pasteur. Il ne fût pas possible, faute de personnel, d'obtempérer immédiatement à ce vœu qui, depuis, fût réitéré. Par l'entremise enfin de la société centrale de Paris, un pasteur, M. Chottin, a pu tout récemment être désigné pour être envoyé à ces amis. L'ouverture du culte qu'ils demandaient avait en conséquence été fixé au dimanche 2 novembre. Délégué dans ce but par M. le président du consistoire, nous nous sommes empressés, dès notre arrivée dans la commune, et conformément à la loi, de faire auprès de l'autorité, la déclaration de nos intentions. Un de nos amis avait offert avec beaucoup d'empressement, pour lieu de culte, sa vaste maison dont les appartements avaient été les jours précédents disposés pour cette cérémonie. À une heure, une assemblée de plus de 300 personnes étaient réunis, tant dans ce local que dans la cour extérieur. Nous commençâmes par l'invocation du dieu sauveur. L'allocution que nous adressâmes ensuite, dans laquelle nous exposions le but exclusivement religieux de cette réunion, l'esprit, la nature de la véritable adoration au point de vue évangélique, fut écouté dans le plus grand recueillement. Nous présentâmes ensuite à nos amis le pasteur qui leur était envoyé. Ce dernier leur adressa quelques paroles de salutations chrétiennes, empreintes d'un vif sentiment du sérieux de la tâche qui lui était confiée. Nous terminâmes par la prière. Le reste de la journée fût consacré à de nombreuses visites aux familles du lieu, nos vieilles connaissance qui nous accueillir avec la plus fraternelle cordialité".

Quelques jours après à la date du 19 novembre, M. Chottin écrivait : "tout va bien, très bien, les auditeurs se multiplient de jour en jour,  il y a aujourd'hui une douzaine de communes où nous sommes bien reçu, et où nous pouvons aller prêcher." Tout paraissait aller pour le mieux, et M. Napoléon Roussel, revenu dans la Charente pour y étendre l'oeuvre qu'il y avait commencé quelques années auparavant, soutenait avec sa fouge habituelle les efforts du nouveau pasteur, quand éclata l'orage que rien ne pouvait faire prévoir. Voici en effet, ce que M. Roussel écrivait à la date du 22 novembre 1851 à M. Grandpierre : «l'oeuvre de Tarsac se présente toujours on ne peut mieux et c'est précisément cet élan généreux qui vient de nous créer une opposition. J'ai vu le Préfet, il m'a déclaré qu'il avait donné la veille des ordres dans tout le département pour s'opposer à nos réunions, qu'elles soient tenues par des délégués du consistoire ou par d'autres. Il n'a d'autres raisons que celles-ci, que le moment est inopportun pour faire de la propagande religieuse et m'a déclaré qu'en tout temps il s'y opposerait, vu qu'il y avait de la honte à abandonner la religion de ses pères. C'est donc un parti pris. Il n'y a pas à lui faire entendre raison. Il m'a dit et redit avec vivacité et résolution qu'il s'opposerait a tout, par tous les moyens".

Voici maintenant la circulaire du Préfet au Maire de Saint-Saturnin. Elle mérite d'être reproduite pour montrer de quel esprit étaient alors animés vis-à-vis du protestantisme les préfets d'un grand nombre de départements: "J'ai été informé par MM. les Maires de... que deux personnes étrangères à la localité, se sont présentées dans leurs communes pour y prêcher la parole évangélique. J'ai tout lieu de croire que ces personnes prennent la religion pour prétexte, et cherchent par ce moyen a propager dans le pays des doctrines dangereuses et de nature à trouber la paix publique. Le devoir de l'administration est d'empêcher d'une manière absolue les tentatives de ce genre. Dans ce but, je crois devoir mettre sous vos yeux les instructions déjà transmises à  MM. vos collègues. Vous aurez à vous y reporter dans le cas où ces prédicateurs viendraient a se présenter dans votre commune. Aux termes de l'art. 294 du Code Pénal, tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, aura accordé ou consenti l'usage de sa maison ou de son appartement, en tout ou en partie pour la réunion d'une association, même autorisée, pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 à 200 francs. Un arrêt de la Cour de Cassation du 20 mars 1836 a décidé que cet article n'avait pas été abrogé par la Charte de 1830, et que l'autorisation du Maire est indispensable à un particulier pour réunir ses coreligionnaires dans tout ou partie de sa maison. La Constitution de 1848 n'a en rien modifié cet état de choses ».



Sans donner une autorisation qui put les mettre dans une fausse position dans le cas où le Préfet se déciderait à fermer le temple, les Maires des cinq communes ne mirent cependant pas d'entraves à ce que les pétitionnaires de Tarsac. fidèles à leur promesse, venaient de construire sous la direction de M. Chottin, et au moyen des sacrifices personnels qu'ils s'étaient imposés. L'inauguration eut lieu au mois de juillet 1852 sous la présidence de M. le pasteur Grandpierre. Malgré la crainte que l'on avait de quelque opposition de la part de l'autorité locale, tout se passa sans incident, en présence d'un très nombreux auditoire. Le lendemain, M. Chottin dut tenir une autre réunion réclamée par des personnes qui, la veille, n'avaient pu s'introduire dans le temple. Malgré les dispositions peu bienveillantes de l'autorité préfectorale, M. Chottin s'occupa activement de l'œuvre qui lui était confiée. Au mois de janvier 1853, il décrivait a M. Grandpierre: "Gloire à Dieu! Notre temple de Neuillac sera terminé pour le 15 mars. Nous avons tant prié pour la réussite de cette oeuvre, que le seigneur a donné à nos nouveaux amis de couvrir presque tous les frais de la construction ». Et après avoir rappelé tous les efforts qu'il avait fallu faire pour arriver a ce résultat, M. Chottin ajoutait non sans un peu de malice: "Certainement je dois déclarer que M. Guy est un pasteur très prudent, en sorte que si je l'eusse cru, j'en serais resté à mon temple de Tarsac!.. Bien certainement la prudence doit toujours inspirer nos démarches, mais elle ne doit pas consister à se croiser les bras, car toute foi qui est un don de dieu est essentiellement agissante". M. Chottin ne tarda sans doute pas à regretter de n'avoir pas suivi les conseils du trop prudent M. Guy. En effet, un mois à peine après sa lettre, il apprenait que par un arrêté en date du 14 février 1853, le Préfet de Charente venait d'interdire les réunions publiques dans les communes de Saint-Saturnin pour s'occuper de réunions religieuses à des jours marqués.


M. Guy avait été bon prophète vu que dès le 1er février il déclarait à M. Grandpierre: "Ce que j’avais prévu arrive. En entendant parler que la première pierre d'un temple à Neuillac était posée, que dans trois mois nous aurions une nouvelle inauguration à faire, je m'en suis réjoui mais avec tremblement; je me suis dit: Ce temple-ci ne renversera-t-il pas celui de Tarsac? Ne prendra-t-on pas des mesures sévères contre l'un et l'autre? Eh bien ! c'est précisément ce que l'on se propose. J'ai eu l'occasion pour des affaires particulières, d'aller visiter M. le Préfet, et il m'a fait connaître ses projets qui ne sont rien moins que de fermer tous les temples du département qui n'ont pas été autorisés par le Gouvernement. Il prétend aussi demander a tous ceux qui exercent le ministère les documents sur lesquels ils s'appuient pour s'autoriser dans leur prédications, et sévir contre ceux qui, à cet égard, ne lui paraitront pas en règle. Toutefois il a ajouté qu'il ne voulait rien faire sans consulter le Ministre." L'arrêté de M. le Préfet de la Charente, nous dit M. Chottin, a mis la consternation dans ma petite église naissante. En conséquence de ce décret, interdisant toute réunion dans notre temple et dans les maisons, le tambour de la commune a retenti dimanche 20, pour en donner pleine communication aux habitants. Les gendarmes sont venus à la porte du temple qu'ils ont trouvé fermée à l'heure ordinaire du culte. Ils voulaient à l'instant faire effacer ces lettres imprimées sur le frontispice: « Église Évangélique Réformée », "Viens et vois! », et ces autres, placées sur la Bible gravée sur la porte: « Sondez les Ecritures" mais le propriétaire du temple leur a répondu avec douceur et fermeté : "Ma conscience éclairée par l'Evangile de mon cher Sauveur me défend d'exécuter aujourd'hui votre commandement, car il est écrit :"tu ne feras aucune oeuvre en ce jour là mais demain matin elles ne paraitront plus ». J'ai parcouru bien vite les diverses communes où sont répandus mes néophytes pour les rassurer et leur dire de ne pas proférer un seul mot contre les autorités ».


Les gendarmes viennent toujours ponctuellement, le dimanche et le jeudi, à Tarsac, écrivait M. Chottin, à la date du 15 mars, mais nous sommes parfaitement paisibles attendant tout du Seigneur. J'agis toujours autant que me le permet la prudence chrétienne, et je ne tiens aucune réunion si petite soit-elle. Quand je vais visiter nos frères, je leur fais lire un chapitre ou quelques versets de l'évangile, puis, tout en causant familièrement avec eux, je leur en donne l'explication qui me parait convenable, arrivant toujours à cette solution: Supportez patiemment les persécutions. Plusieurs même de nos frères catholiques sont indignés de la mesure prise à notre égard, et selon leur dire, à la réouverture de notre temple il y aura me foule aussi grande qu'au beau jour de son inauguration".



Le coup qui venait de frapper M. Chottin, et qui, il faut bien le dire, le visait plus particulièrement, le rendit plus prudent mais ne l'empêcha pas de continuer son œuvre. La persécution dont il fut l'objet fut aussi ridicule qu'odieuse. C'est ainsi qu'ayant demandé au Préfet l'autorisation de présider à une cérémonie funèbre, ce magistrat l'accorda à la condition toutefois qu'aucun discours ne serait prononcé sur la tombe, et qu'en cas de désobéissance de la part de M. Chottin, « ordre était donné à qui de droit de le conduire directement en prison pour être cité ensuite devant les tribunaux compétents". M. Chottin se le tint pour dit, et l'inhumation eut lieu en présence d'un conseiller municipal et du garde-champêtre. Quelques jours après cet incident, le Préfet déclarait à M. Guy que M. Chottin avait mal compris sa pensée au sujet des inhumations, et que s'il avait jugé convenable de lui défendre de parler sur la tombe, c'est que le maire de Hiersac lui avait rapporté que lors du dernier enterrement fait par M. Chottin, celui-ci avait prononcé ces paroles socialistes : "Riches ou pauvres, savants ou ignorants, nous sommes tous égaux". Il s'était bien gardé, le brave Maire, d'ajouter ce que M. Chottin avait dit : « tous égaux devant la mort ». Rien d'étonnant à cela vu que, comme il l'avouait a M. Guy, il n'avait pas lui-même assisté au service funèbre et qu'il s'était contenté de rapporter ce qui lui avait été dit ! Après le ridicule, l'odieux. « Appelé à présider à la sépulture d'un enfant qu'il avait baptisé la veille de Noël, écrit M. Chottin, au mois de juin 1853, je fus forcé de m'abstenir, faute d'autorisation municipale, et, chose digne d'observation, il avait été reconnu depuis trois ans un endroit spécial pour l'enterrement de quatre protestants dans le cimetière de cette commune, Brie, prés La Rochefoucauld. Pensant que le père de l'enfant aurait naturellement le droit de l'inhumer, je l'accompagnai au cimetière. Arrivé là, le père, d'après mon avis, s'en va de nouveau trouver M. le Curé, possesseur insolite du permis d'inhumer qui, légalement, aurait du être remis au père de l'enfant, pour le conjurer de lui remettre la clé du cimetière, M. le Curé s'y refusa, le menaçant, s'il enterrait son enfant, de le faire déterrer le lendemain. Le père et les assistants, ô douleur ! se trouvent dans la triste nécessité de reconduire à la maison leur pauvre enfant, décédé depuis 30 heures! Il m'est impossible de vous dire la situation morale de la mère à la vue de son enfant rentrant chez elle et ne trouvant pas de place au cimetière pour son cadavre. Il me serait également impossible de vous traduire l'irritation des assistants à l'égard du prêtre et de M. le Maire. L'on était déterminé a prendre son fusil et à aller trouver le prêtre chez lui. À l'aspect de cette agitation, je conjure avec larmes l'assemblée de demeurer calme jusqu'au lendemain. Le père et moi, nous allâmes trouver le préfet. Il n'a voulu donner aucun mot d'écrit, ni pour, ni contre, pour terminer cette affaire. Je crus donc de mon devoir de m'abstenir de faire cet enterrement, d'autant plus que le préfet avait conjuré le père de faire enterrer par le prêtre son enfant baptisé par moi. Le père, de retour dans la commune, va de nouveau demander à M. le Maire la clef du cimetière. Le Maire voyant que je n'étais pas là, la lui remet et l'affaire s'est terminée le mieux qu'il a été possible".

M. Guy cependant ne restait pas inactif. Sur l'avis de M. Grandpierre, une lettre fut adressée par M. Tallon, propriétaire du temple de Tarsac, au maire de St-Saturnin, pour lui demander, conformément à l'art. 294 du code pénal, l'autorisation de prêter son local pour la célébration du culte protestant, le 10 avril à midi, selon la délibération du consistoire de Jarnac du 23 mars 1853 qui a fixé pour cette heure et pour ce jour une cérémonie d'inauguration. Se retranchant derrière l'arrêté préfectoral, le Maire répondit à M. Tallon : « Vous ne pouvez pas vous réunir, ni disposer de votre local pour une réunion quelconque, autrement vous serez poursuivi. J'espère que vous vous conformerez à cet avis". M. Guy en appela au Préfet, mais celui-ci lui répondit: « Une nouvelle tentative de réunion en présence de mon arrêté du 14 février dernier qui les prohibe d'une manière absolue, a lieu de m'étonner et M. le Maire, en refusant au sieur Tallon l'autorisation qu'il sollicitait, n'a fait que se conformer aux instructions que je lui avais transmises pour assurer l'exécution des mesures que j'ai cru devoir prendre, et que j'ai eu l'honneur de soumettre à l'approbation de M. le Ministre. Dans l'état des choses je ne puis donc que m'en référer aux dispositions du dit arrêté et vous prévenir, encore une fois, que je suis fermement résolu à les faire respecter. Permettez-moi d'espérer, Monsieur, que cette déclaration catégorique vous fera renoncer à un projet qui constituerait, si il se réalisait, une infraction à un acte régulier de l'autorité dont la répression pourrait compromettre sérieusement la tranquillité de la commune de St Saturnin.




M. Guy ne se rendit pas a Tarsac au jour fixé, en revanche les gendarmes y restèrent perdant une partie de la journée. Ne pouvant plus tenir de réinions, M. Chottin organisa des comités composés de quelques fidèles se réunissant pour lire la parole de dieu et pour prier ensemble. Il faisait en outre venir chez lui les enfante, trois par trois, de manière à ce que chacun d'eux reçu deux leçons par semaine. Les plus avancés furent chargée d'expliquer à leurs parents les chapitres lus et médités, co qui parait-il, produisit un excellent effet.


La société centrale cependant faisait de vaines démarches auprès du Ministre des Cultes en faveur de la liberté religieuse. Le Conseil Central des ÉgliseS Réformées n'avait pas été plus heureux dans son intervention. Chargé par la commission permanente de faire une enquête sur la situation des oeuvres de la Charente, M. le pasteur Delmas, Président du Consistoire de la Rochelle, chercha vainement à trouver un appui auprès du Préfet de la Charente Inférieure, « Je n'ai pas trouvé, décrivit-il, dans M. Brian un homme disposé à soutenir nos intérêts. Il ne nous est pas hostile sans doute, mais il est Préfet avant tout; il voit que le vent ne souffle pas en notre faveur et il ne se souci pas d'aller contre le vent. Par contre, après s'être transporté à Tarsac, M. Delmas déclarait: "J'ai été très satisfait des dispositif, de nos frères. J'ai acquis la certitude qu'ils sont parfaitement sincères dans leur manifestations. Ils avaient un air de calme et de sérénité qui prévient en leur faveur. Quelque uns ont une piété vivante, ils ont fait des progrès dans la connaissance et la pratique du christianisme. Tous m'ont paru étrangers à la politique et ce ne peut être que dans le dessein de nuire à l'œuvre que vous avez entreprise au milieu d'eux, qu'on a dit qu'il y a de la politique dans leur changement de religion. Je suis revenu de Tarsac réjoui et édifié de ce que j'ai vu et entendu. "Quant à Monsieur Chottin, tout en rendant hommage à son zèle et à son courage, Monsieur Delmas estimait "qu'il manquait de prudence et de jugement". L'affaire du temple de Neuillac, n'était certainement pas étrangère à la fermeture de celui de Tarsac. Cela étant et avec la perspective d'un procès M. Delmas pensait qu'il serait prudent de remplacer M. Chottin, avant de se lancer dans un conflit aver l'autorité fortement prévenue contre loi.


Dans cette même lettre, M. Delmas rend compte de son entrevue avee le Préfet de la Charente. Nous ne pouvons pas songer a reproduire, vu son étendue, le récit très animé de l'honorable Président. M. Delmas chercha vainement a faire comprendre à  son interlocuteur que c'était le liberté des cultes, garantie par la Constitution, que c'étaient les droits de la conscience qui étaient méconnus par son arrêté, tout fut inutile. Le Préfet s'obstina à soutenir qu'il fallait l'autorisation préalable de l'autorité pour ouvrir un nouveau lieu de culte, ajoutant une fois de plus, qu'il ne pouvait revenir sur une mesure approuvée par le Ministre et par l'Empereur lui même ! M. Delmas terminait en conséquence son rapport en disant, qu'en présence de la situation créée par l'arrêté du préfet, il lui paraissait bien difficile de n'en pas venir à l'extrémité, regrettable sans doute, mais nécessaire, d'un procès.


Un instant, M. le pasteur Guy, toujours vivement préoccupé de la situation de l'oeuvre de Tarsac, put croire à la possibilité d'un changement favorable, par suite de la mise à la retraite du Préfet de la Charente. Il fut vite détrompé. Preuve en est de sa déclaration après une première entrevue avec lr nouveau Préfet : "Quoique je le trouve plus franc, moins avocat que son prédécesseur, je pense que nous devons peu compter sur lui. Il a déclaré ne pas vouloir défaire ce que son collègue avait fait et, comme son prédécesseur, nous renvoie au Ministre et à l'autorisation. Il faudra bien en venir aux moyens extrêmes si nous voulons sorti de l'impasse où nous nous trouvons. Pour moi je suis disposé à faire ce que l'on jugera convenable. Que le Comité me trace la route à suivre, et je la suivrai autant qu'il me sera possible. J'aimerai mieux me mettre à l'écart, ne pas faire parler de moi mais quand il le faut il le faut ! Que Dieu me soit en aide !"


M. Guy ayant tenté une dernière démarche auprès du Ministre, et n'ayant pas reçu de réponse, le Consistoire de Jarnac, réuni le 19 octobre 1853, estima qu'il fallait tenter la solution judiciaire mais seulement après le jugement en appel de l'affaire de Fouqueure qui devait sous peu être prononcé à Angoulême. "Après cela, écrivait M. Guy, un certain nombre de membres du Consistoire iront auprès de M. le Préfet

et s'il n'est pas plus favorable que par le passé, une lettre lui sera adressée et au Ministre par laquelle il sera dit qu'ayant épuisé tous les moyens et étant arrivé à la position qui faisait dire à saint Pierre: « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes », le Consistoire s'était décidé, bien à regret, à fixer la réouverture du culte à Tarsac le... et que ce corps tout entier s'y réunirait en cette occasion importante »




Le Consistoire n'eut sans doute pas besoin de « franchir le Rubicon », comme l'écrivait son Président. Un événement inattendu venait de se produire, que le rapport de 1855 annonçait dans ces termes: « C'est par une parole de reconnaissance que nous voulons commencer ce neuvième anniversaire de notre Société. Vous le savez. Un nom vient d'être rayé de cette liste déjà trop longue d'Églises et d'écoles fermées. Grâce aux actives démarches d'amis dévoués, que nous remercions publiquement ici, le temple de Tarsac, fermé pendant plus de deux ans, a été rouvert le 11 mars dernier. Vous avez su les épreuves et la délivrance. Nous ne reviendrons pas sur ces longues luttes, sinon pour bénir le Seigneur qui s'en est servi pour purifier la foi de nos frères et les rendre plus fidèles. Ainsi préparés, vous pouvez juger de la nature chrétienne de leur joie. À la réception de l'heureuse nouvelle que le temple allait être rouvert, notre première pensée fut de nous y rendre à l'instant. Nos cours étaient pleins de joie. Je renonce à dépeindre les émotions de bonheur qui se reflétaient sur tous les visages, un seul mot peut vous en donner une idée, c'est cette exclamation d'un de nos frères pauvre paralytique auprès du lit duguel nous étions souvent réunis: « Ah ! maintenant je puis mourir! ». C'est le 11 mars dernier, que malgré te mauvais temps, le temple a été rouvert par un culte solennel où M. le pasteur Castel a développe devant ses auditeurs, cette parole du Sauveur. si bien appropriée à la circonstance: "Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ».


Conformément aux suggestions de MM. Guy et Delmas, la Société Centrale avait décidé de changer de poste M. Chottin. Celui-ci qui venait d'apprendre le prochain départ de son opiniâtre adversaire accepta avec une grande dignité, la mesure prise à son égard. « Désirant me rendre compte, écrivait-il, de l'impression fâcheuse que mon départ va nécessairement produire, et chez mes chers néophytes, et chez ceux qui n'attendent que la réouverture de notre temple pour le devenir, je viens de visiter pendant deux jours les différentes âmes situées au près et au loin pour les stimuler à la persévérance et à la fidélité, les assurant tant par mes paroles que par la lecture de votre lettre, du vif intérêt que vous leur portez. Ah ! cher frère, je suis heureux de cette circonstance de n'avoir pas à prendre moi-même l'initiative et de n'avoir qu'à obéir à la Société Centrale qui a toujours été si bienveil-

lante envers moi ».


Si le départ du Préfet ne modifiait en rien la situation, celui de M. Chottin risquait d'entraîner de sérieuses complications. Depuis quelque temps en effet, M. Gaudibert, ancien instituteur à Paris, gagné aux doctrines darbystes, tenait des réunions dans sa maison à Angoulême où il était venu se fixer. Plusieurs des plus zélés paroissiens de M. Chottin se laissèrent attirer par M. Gaudibert et se rendaient chez lui aux heures même du culte public. Grâce aux démarches qu'il fit en commun avec M. Chottin et quelques pasteurs des environs, M. Guy parvint à enrayer le mouvement et M. Gaudibert quitta Angoulême. Tout danger n'était pourtant pas écarté et M. Guy le sentait bien lorsqu'il écrivait à M. Grandpierre: « Si M. Gaudibert revenait aujourd'hui, trouvant le champ libre, il pourrait amener une division déplorable et porter un coup mortel à nos espérances pour l'avenir dans notre oeuvre de Tarsac et des environs. Vous jugerez donc cher frère, je l'espère, qu'il est prudent qu'un ouvrier de la société vienne promptement occuper ce poste".


M. Guy qui entrevoyait comme proche le procès qu'il craignait et désirait tout a la fois, ne put obtenir le pasteur "national consacré" qu'il réclamait. et vu, sans doute, la disette de candidats, le comité lui envoya un évangéliste, M. Jérémie Proy, qui fixa sa résidence non à Tarsac, mais a la Viguerie, hameau de la commune de Saint-Saturin. M. Proy se mis courageusement à l'oeuvre. Il lutta et non sans succès contre l'influence que, de loin, M. Gaudibert exerçait encore sur quelque uns de ses adhérents. Comme son predevesseur il subit les rigueurs administratives et comme on le menaçait de sévir contre lui, s'il tenait n'importe quelle réunion, même au-dessous de 20 personnes, il allait trouver les gens à leur travail, causait avec eux des choses religieuse, leur communiquait des nouvelles sur l'avancement du règne de Dieu et leur lisait un chapitre des livre saints si leurs occupation le permettaient.






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