Le nombre de discothèque chute depuis une vingtaine d’années. La crise sanitaire accéléré le rythme des fermetures. Le modèle de la discothèque serait à l'agonie ?. Face aux changements d’habitudes de la clientèle, de nombreux exploitants ont opté pour une diversification de leur activité. Dans le même mouvement, le Syndicat national des discothèques prône une refonte en profondeur.
Pour Jean Roch, cela aura été la goutte de trop. En mai 2020, deux mois après que le gouvernement ait contraint les discothèques à fermer leurs portes, le célèbre patron du VIP Room, emblématique boîte de nuit parisienne, annonçait que celles de son établissement resteraient définitivement closes après vingt-cinq ans d’activité. La faute au Covid-19, évidemment, mais aussi à une cause plus lointaine que la pandémie n’a fait qu’accélérer : la fin d’une époque. « La tournée des Grands-Ducs, c’est quelque chose qui appartenait à nos aînés, expliquait-il au même moment au site Forbes.fr, tout en présentant son nouveau projet, le Gioia, un restaurant-club à Saint-Tropez. Aujourd’hui, les gens cherchent un lieu où ils arrivent à l’heure de l’apéritif, dînent sur place et font la fête sur place. Alors ils se couchent sans doute plus tôt, à trois heures du matin, mais c’est certainement l’avenir. »
UN MODÈLE DES ANNÉES 1980
Les chiffres vont dans son sens. En quarante ans, le nombre de discothèques a chuté de façon drastique. De 4 000 au plus fort des années 1980 à 1 600 à la veille de la crise sanitaire, laquelle a précipité vers la cessation d’activité ou la liquidation judiciaire 430 établissements supplémentaires, selon les chiffres du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL).
Une évolution qui n’a pas échappé à Thierry Fischesser, à la tête de l’Alegra, l’une des plus grandes discothèques de France, située à Châlons-en-Champagne. « Rien que dans le département de la Marne, 50 % des discothèques ont mis la clé sous la porte en quinze ans, observe-t-il. La disparition des discothèques est une réalité. Pourquoi ? Les raisons ne manquent pas. »
Nouvelles façons de faire la fête, de draguer, concurrence des bars dansants, des festivals, des raves, renforcement des contrôles d’alcoolémie, législation sur le tabac, crise économique… Pour le patron de l’Alegra, il y a presque une forme de logique à cette situation. « On présente le même produit depuis les années 1980. Très peu de produits traversent quarante années sans se renouveler. Il y a vingt ans, on avait le monopole de la nuit, et le dimanche, les jeunes n’avaient rien à faire, alors ils sortaient jusqu’à cinq ou six heures du matin, mais les modes de vie et de consommation ont changé. Pour écouter de la musique, il n’y avait que quatre ou cinq radios, les concerts n’étaient pas démocratisés comme aujourd’hui. Maintenant, il y a des festivals dans toutes les villes et les DJs ne se produisent plus seulement dans les clubs. »
SE RÉINVENTER POUR DURER
Sur la base de ce constat, il a entrepris en 2019 des travaux destinés à faire évoluer son affaire, véritable complexe de la nuit s’étalant sur 3 700 mètres carrés et comprenant six pistes de danse, un karaoké, un snack, une croissanterie et une boutique.
Il a reconfiguré les espaces de danse afin de réduire leur taille et a entrepris de diversifier son activité en ouvrant un restaurant et une salle de dîner-spectacle. « Au départ on était uniquement parti sur le dîner-spectacle, mais pour avoir une équipe de cuisiniers professionnels, il fallait leur offrir un temps plein, donc ouvrir au moins cinq jours par semaine. Alors on a décidé d’ouvrir en parallèle un autre restaurant, plus traditionnel. »
S’il n’a pas encore eu beaucoup de temps pour roder sa nouvelle offre – les restaurants ont ouvert en septembre, la partie discothèque a refermé de décembre à mi-février –, il a déjà pu en tirer certains enseignements. « L’objectif était d’attirer les 17-25 ans sur la partie discothèque, les 20-35 sur la partie restauration et les 40 et plus sur la partie spectacle. Il s’avère que ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Sur la partie spectacle, on a aussi bien du 20, du 40 que du 70 ans, et 90 % des gens qui vont au restaurant passent ensuite en discothèque. On a augmenté l’offre, mais elle n’a pas été sectorisée », se réjouit-il.
La diversification est-elle l’avenir des discothèques ? « De plus en plus de lieux la pratiquent », admet Christian Jouny, délégué général du SNDLL, gérant de trois établissements en Loire-Atlantique, la Villa-La Grange et le Garden, à Guérande, et le Niagara à Missillac. Il reste cependant convaincu de la pérennité du modèle traditionnel des discothèques. Il en tient pour preuve l’engouement de l’été dernier, lorsqu’elles furent autorisées à reprendre leur activité après seize mois de fermeture. « On a connu une fréquentation exceptionnelle. Pour ma part, cela faisait quinze ans que je n’avais pas connu une telle affluence. Ce que je retiens, c’est que contrairement aux idées reçues, la jeunesse attendait la réouverture des discothèques. »
LA SÉCURITÉ AVANT TOUT
Pour cet entrepreneur qui a eu l’occasion de défendre les boîtes de nuit devant Emmanuel Macron, l’évolution prioritaire doit concerner le « repositionnement » d’une profession mal considérée par les pouvoirs publics.
Et en premier lieu que les discothèques soient traitées sur un pied d’égalité avec leurs concurrents les plus directs : les bars dansants et restaurants à ambiance musicale. « Les discothèques ont un cahier des charges au niveau de la sécurité extrêmement rigoureux. En cas d’incident, on va systématiquement rechercher la responsabilité pénale du gérant. Toutes les autorisations d’ouverture tardive devraient être soumises au même cahier des charges », plaide-t-il. Et de rappeler les importants efforts consentis par les exploitants de discothèques, en prenant son exemple personnel : « Je vais chercher ma clientèle et je la raccompagne. J’ai acheté des bus, embauché des chauffeurs, des agents de sécurité postés à l’intérieur. Pour deux établissements, ça me coûte 64 000 euros par an. »
Il souhaiterait également que les fermetures administratives, décidées par les préfets, véritable épée de Damoclès pour les exploitants, qui peuvent être décrétées pour un accident de la route en sortie de boîte ou la présence de stupéfiants sur un client, relèvent d’une décision judiciaire. « S’il y a une faute, elle doit être jugée et le gérant doit pouvoir se défendre. »
Autre suggestion : « Pourquoi ne pas mettre en place avec l’aide du gouvernement et des organismes de formation des formations d’agents de sécurité discothèques ? Un agent de sécurité en discothèque n’a pas les mêmes contraintes qu’en magasin. Il doit être capable de déceler l’alcool, les stups, le comportement dangereux. Il faut aussi qu’il puisse isoler une personne de la salle vers l’extérieur avec dextérité, sans brutalité. Ça mérite une formation à part entière. »
Autant de changements qui, pense-t-il, pourraient redonner un élan à un métier qui a le sentiment d’avoir été un peu oublié lors de la crise sanitaire. « Le gouvernement a mis du temps avant de nous recevoir, rappelle Christian Jouny, mais je pense qu’il a désormais pris la mesure de notre situation. Nous sommes une profession à part entière, qui a une incidence sur des millions de jeunes. La discothèque telle qu’elle existe aujourd’hui a encore de l’avenir, j’en suis certain. La jeunesse a besoin d’exutoires et nous pouvons lui proposer des espaces sécurisés pour cela. » On n’a pas fini de danser
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire