lundi 4 janvier 2016

Histoire de la distillation des essences et de l'alcool - M. Chastrette. Professeur émérite à l'Université Lyon 1.


Bonne année 2016!

Que le cul nous pèle et que les femmes soient douces. A l'occasion, je souhaite partager avec vous ce texte très complet de M. Chastrette, Professeur émérite à l'Université Lyon 1, sur l'histoire de la distillation des essences et de l'alcool. 

Glané sur le net, après un premier contact dans le whisky pour les nuls, de Philippe Juge, c'est de loin la meilleure synthèse qu'il m'ait été donné de lire sur le sujet. Une large diffusion de l'information ne peut faire que du bien :) 

Cheers,

F.


 Histoire de la distillation des essences et de l'alcool
M. Chastrette
Professeur émérite à l'Université Lyon 1
1.  Introduction

La distillation est une des techniques les plus anciennes de la chimie et constitue encore aujourd'hui un instrument puissant au service de l'industrie. Il existait en 1998 aux USA environ 40 000 colonnes à distiller qui utilisaient 7 % de l'énergie totale consommée dans le pays [1]. 

 Au Moyen Age la distillation comportait deux techniques aujourd’hui bien distinctes : la condensation des vapeurs humides, telles que l'eau, l'alcool, les essences, et la condensation des vapeurs sèches, que nous désignons aujourd'hui sous le nom de sublimation. Le mot distillation, qui signifie écoulement goutte à goutte, s'appliquait aussi à la filtration, et même à toute purification.  La distillation était au cœur des  procédés alchimiques et jouissait chez les alchimistes d'un statut  exceptionnel. Ils considéraient les choses qui vont vers le haut, comme les produits de la distillation et de la sublimation, comme supérieures et même divines. Pour Moyse Charas [2] : « La distillation est une élévation suivie d’une descente des parties aqueuses, spiriteuses, oléagineuses ou salines des mixtes, séparées des grossières et terrestres par le moyen du feu ; elle est naturelle ou artificielle. »

Le mot distillation recouvre aujourd'hui deux opérations différentes : l'hydrodistillation et l'entraînement à la vapeur qui permettent d'obtenir avec un alambic simple des eaux et des huiles essentielles et la distillation proprement dite qui demande des appareils beaucoup plus perfectionnés. Alors que la première a été maîtrisée relativement tôt, la seconde n'a vraiment fonctionné correctement qu'à partir du début du 19ème siècle. L'évolution des alambics sera présentée brièvement et le rôle particulier et  les statuts successifs de l'alcool seront mis en évidence.

2. Vers la maîtrise de la distillation

2-1 La distillation sans alambic

Aristote [3] signale que lorsque l’eau est chauffée dans un vase, sa vapeur se condense, en particulier sur le couvercle du vase. Il note : « L'expérience nous a appris que l'eau de mer réduite en vapeur devient potable et le produit vaporisé, une fois condensé, ne reproduit pas l'eau de mer... Le vin et tous les liquides, une fois vaporisés, deviennent eau.»  Ainsi, d'après Aristote, l'évaporation fournirait de l’eau, l'un des quatre éléments, quelle que soit la nature des liquides vaporisés, et nous parlons encore d'eau-de-vie ou d'eau régale à propos de liquides bien différents de l'eau.  Des procédés similaires sont décrits dès le premier siècle, pour la préparation de deux liquides d'un caractère complétement différent, le mercure et l'essence de térébenthine. 

Le cinabre (sulfure de mercure) était employé dès la haute antiquité comme matière colorante rouge. Un procédé d'extraction du mercure est décrit par Dioscoride [4] et Pline[5]. On plaçait le cinabre dans une capsule de fer, au sein d'une marmite de terre cuite dont on lutait le couvercle, puis on chauffait. Après l'opération, on raclait le couvercle, pour en détacher les globules de mercure. On obtenait ainsi le vif-argent artificiel, auquel les anciens attribuaient des propriétés différentes du vif-argent naturel.

Un procédé pour l'extraction d'une huile est décrit par Dioscoride et par Pline. On chauffait des résines de pin dans des vases, au-dessus desquels on étendait de la laine: celle-ci condensait la vapeur ; puis on l'exprimait de façon à en retirer l'essence de térébenthine que Pline [6] nomme pissinum. Comme on la préparait à Colophon en Grèce, le résidu de la distillation était appelé poix de Colophon d’où le nom de colophane.

2-2  L’invention et le perfectionnement de l’alambic

L’invention de l’alambic a été attribuée à de nombreux auteurs : prêtres égyptiens, savants indiens, chinois, arabes et sa datation reste incertaine. Levey [7] pense que la distillation était connue en Mésopotamie dès la fin du IVe millénaire. L’appareil aurait été constitué d’un pot à double rebord (qu’on a retrouvé) placé sur un foyer et muni d'un couvercle dans lequel les vapeurs se seraient condensées pour couler ensuite dans la gorge du double rebord.

2-2-1 Les alambics depuis les Grecs jusqu'à l'école de Salerne

Les premiers appareils de distillation proprement dits ont sans doute été construits en Egypte, au cours des premiers siècles de l'ère chrétienne. Hoefer [8] rapporte que Zosime le Panopolitain, auteur de la fin du III° siècle, décrit avec précision des appareils qu'il a vus dans un temple de Memphis . Berthelot [9, 10] a reproduit les dessins de ces appareils figurant dans la marge d'un manuscrit grec du 11ème siècle, conservé à Venise, reproduisant le manuscrit de Zosime. Le couvercle est remplacé par un large tube aboutissant à un ballon pourvu de tubes latéraux inclinés vers le bas, destinés à recueillir le liquide condensé et à en permettre l'écoulement dans de petits ballons. Le nom d’alambic vient du grec ambix (vase), qui désignait à la fois le ballon supérieur et les récipients latéraux. Zosime distingue les alambics à deux becs (dibicos) et à trois becs (tribicos).

Un alambic décrit par Synésius, auteur de la fin du III° siècle, est figuré dans des manuscrits moins anciens [11]. La forme de cet alambic, composé d'une chaudière avec son chapiteau pourvu d'un tube unique et chauffé dans un bain-marie, n'a que peu varié jusqu'au XVI° siècle.

L'alambic est passé, sans grand changement, des Égyptiens aux  Grecs puis aux Arabes, qui en ont fait un grand usage.  Jabir ibn Hayyan (721- c.815), connu en Occident sous le nom de Geber, a présenté les différentes techniques de distillation dans un traité connu par une traduction du 16ème siècle [12]. Al Kindi (??- 873), médecin-alchimiste de Bagdad, décrit, dans son Livre sur les parfums, la chimie et la distillation, la préparation de 107 essences [13] .  Dans les ouvrages de pharmacie attribués à Albucasis, mort en 1107, on trouve un appareil  destiné à distiller l'eau de rose, qui ne diffère pas beaucoup des  alambics des alchimistes grecs. 

2-2-2  Les perfectionnements de l'alambic

Les perfectionnements de l'alambic, dûs principalement à l'école de Salerne en Italie sont réalisés à partir du 13ème siècle. Ils sont consignés dans une longue série de livres sur la distillation dont les plus importants sont ceux de Brunschwig [14] en 1500 et 1507, de Porta [15] en 1609 et de French [16] en 1651.
Dans le traité De distillationibus (1609), qui est un recueil de procédés pratiques, Porta parle du chapiteau à trois becs, très semblable à celui de Zosime. Il décrit deux perfectionnements importants : les condensations graduées et le serpentin réfrigérant.

Au contraire de ceux de Zosime, les tubes d'un des alambics de Porta sont situés à des hauteurs inégales, et l'auteur indique que le tube le plus élevé fournit l'esprit-de-vin le plus pur. L'appareil le plus compliqué ressemble à une hydre à sept têtes.

Dans les alambics des Grecs, les vapeurs se condensaient mal dans des chapiteaux à faible surface et la condensation devenait presque impossible. Les auteurs anciens devaient chauffer peu leurs appareils et les distillations pouvaient durer des jours et même des semaines. 

Porta présente des appareils dont les tuyaux coudés allongent le parcours des vapeurs et favorisent la condensation. Pour conduire les distillations  plus rapidement, on peut aussi refroidir le chapiteau et le tube conduisant au récipient final en disposant autour du chapiteau un seau rempli d'eau froide. Cependant, une partie des vapeurs condensées retombait dans la chaudière. Un autre perfectionnement consiste à donner la forme d'un serpent au tuyau allant du chapiteau au récipient et à l'entourer d'eau froide, mais l'usage du serpentin ne se répandit que lentement.

Pour illustrer l'idée que le corps humain est le siège de phénomènes proches de la distillation, Porta [15] mentionne la transformation en sueur des vapeurs s'échappant par les pores et la formation de la pituite dans le catarrhe. L'exemple de la pituite est repris d’Avicenne, l'un des plus célèbres médecins arabes, qui  explique que « lorsque les surabondances d'aliments ne sont pas triées dans le ventre, elles se changent en vapeurs, qui, ayant attaqué le cerveau, remplissent la tête ; celle-ci par son froid les transforme en humeur qui coule par les narines comme dans un alambic ». 

Michel Savonarole (1452-1498)  rapporte [17] que, de son temps, on a introduit l'usage des cucurbites de verre qu'on coiffait d'un chapiteau rafraîchi avec des linges mouillés. Il dit que pour obtenir de l'eau-de-vie parfaite on pouvait rendre le col qui réunit la chaudière au chapiteau le plus long possible, et il ajoute qu'un de ses amis avait placé la chaudière au rez-de-chaussée, et le chapiteau au faîte de sa maison.

3.  L’obtention de l’alcool concentré 

Les alambics décrits ci dessus sont assez bien adaptés à la préparation d’huiles essentielles par hydrodistillation, la séparation des substances chimiques entre elles n'étant pas requise. Par contre l'obtention d'un alcool concentré par distillation de solutions alcooliques a posé de grands problèmes qui n'ont été résolus correctement qu'au début du 19ème siècle. 

3-1 La distillation du vin

Dès l'Antiquité on avait observé que le vin peut fournir quelque chose d'inflammable, lorsqu’il est chauffé, comme le rapportent Aristote et Théophraste. Pline [18] note que le vin de Falerne « est le seul vin qui puisse être allumé au contact d'une flamme ».  Jabir ibn Hayyan [12] mentionne l'addition de sel : « et le feu qui brûle à la sortie des bouteilles produit par du vin bouillant et du sel,  et les choses semblables qu’on pense de peu d’utilité , celles là sont d’une grande signification pour la science ».  Al Kindi [13] décrit la technique qu'il utilise pour la distillation du vin et le résultat obtenu: « ainsi le vin est distillé et vient de la couleur de l’eau de rose ». 

3-2 L’eau ardente
C'est sous le nom d'eau ardente, c'est-à-dire inflammable, que l'alcool apparaît d'abord, mais ce nom était également donné à l'essence de térébenthine. Cet alcool devait contenir au moins 35% d'éthanol pour pouvoir s'enflammer à la surface des corps, sans les brûler, propriété qui avait beaucoup frappé les premiers observateurs.

Les Mappae clavicula, écrites au 12ème siècle d'après une compilation du 8ème siècle de recettes grecques et latines avec quelques additions arabes, donnent une recette en latin, chiffrée, que Berthelot [19] a réussi à déchiffrer en remplaçant chacune des lettres de certains mots par celle qui la précède dans l'alphabet. La recette devient alors: « En mêlant un vin pur et très fort avec trois parties de sel, et en le chauffant dans les vases destinés à cet usage, on obtient une eau inflammable, qui se consume sans brûler la matière où elle est déposée. » 

3-3 De l’eau ardente à l’eau-de-vie
              L'école de médecine de Salerne a joué un rôle important car elle a recueilli et développé les connaissances arabes sur la distillation et introduit l'usage de l'alcool en médecine. De l’aqua ardens des alchimistes on va passer à l’aqua vitae des médecins. Le mot eau-de-vie, apparaît ainsi à la fin du 13ème siècle en relation avec les propriétés médicinales de l’eau ardente et avec l'élixir de longue vie.

Le premier écrit  qui prône l’aqua ardens est le Compendium Salerni de Magister Salernus, médecin à l’Académie de Salerne, paru en 1160.  Les progrès qui ont permis de passer de l’aqua ardens à une aqua vitae forte en alcool sont réalisés plus tard par Thaddaeus Florentinus (1223-1303), médecin à Bologne. Il décrit [20], vers 1280, comment obtenir l’alcool, sans doute à près de 90% par rectification (redistillation), habituellement 3-4 fois mais éventuellement jusqu’à 15 fois.  Il décrit aussi pour la première fois le système de refroidissement, le serpentin et la cuve refroidie par de l’eau courante. Thaddaeus Florentinus restera  l’autorité sur la distillation jusqu’à la parution des grands livres de la fin du 15ème et du début du 16ème siècle.

Savonarole [17] indique les moyens en usage de son temps pour estimer la concentration des eaux. Avant l'invention des alcoomètres de Baumé et de Gay Lussac, on pouvait apprécier la concentration des alcools commerciaux à partir de la preuve de Hollande. L'eau-de-vie dite preuve de Hollande, agitée vivement dans un flacon, fait la perle (une série de gouttelettes se forme en surface); elle pèse environ 50° sur l'alcoomètre de Gay Lussac. L'eau-de-vie commerciale la plus concentrée (85 ° Gay Lussac) est l'eau-de-vie dite trois-six : trois volumes d'eau-de-vie et trois volumes d'eau donnent six volumes d'eau-de-vie preuve de Hollande.

3-4  L’Elixir de longue vie et la quintessence

Dès le 13ème siècle, un courant de l’alchimie recherchait un moyen de prolonger la vie. Comme on avait observé que l’aqua ardens empêchait la pourriture et la putréfaction, elle fut bientôt considérée comme un élixir de longue vie et assimilée au mercure des philosophes. 

Arnaud de  Villeneuve (1240 ou 1250- 1312) a employé [21] le terme eau-de-vie pour désigner le produit de la distillation du vin qu’il assimilait à l'élixir de longue vie et dont il vante ainsi les vertus :  « Elle prolonge la vie et voilà pourquoi elle mérite d'être appelée eau-de-vie. ........ En raison de sa simplicité, elle reçoit toute impression de goût, d'odeur et autre propriété... Quand on lui a communiqué les vertus du romarin et de la sauge, elle exerce une influence favorable sur les nerfs, ......»

L'introduction de la quintessence, identifiée à l’aqua ardens, bouleverse la théorie des humeurs sur laquelle repose la médecine de cette époque. Jean de Roquetaillade (Johannes de Rupescissa) publie vers 1350 un ouvrage intitulé De consideratione Quintæ essentiæ rerum omnium [22] dans lequel il développe le concept. Selon la philosophie d’Aristote, les quatre éléments qui constituent le monde sublunaire sont soumis à la corruption. Rupescissa pense qu’en redistillant l’aqua ardens autant de fois que nécessaire on peut la débarrasser des quatre éléments et obtenir la quintessence qui est incorruptible. La quintessence, distillée en présence d’or pur naturel, devient une médecine universelle. La quintessence des plantes est extraite par distillation dans l’eau ardente, et possède en concentré toutes les vertus de la plante. 

3-5 Les deux sens du mot alcool 

Bien qu'on ait compris que le vin distillé n'est pas identique à l'eau, contrairement à l'opinion d'Aristote, on ne lui donnait pas,  avant le 13ème siècle, le nom d’esprit de vin car on réservait  le nom d'esprit aux agents volatils, comme le mercure  ou le soufre. Jusqu'au 14ème siècle, on ne trouve aucun auteur qui applique le mot d'alcool au produit de la distillation du vin. Le mot alcohol désignait d’abord une poudre très fine obtenue par pulvérisation ou sublimation. Il s'appliquait en particulier à la poudre de sulfure d'antimoine (kohl), employée pour noircir les cils, et à diverses autres substances. D'après le Littré et le Robert, le mot alcohol au sens de substance produite par distillation apparaît  sous la plume d’Ambroise Paré en 1586. Les deux sens de poudre très fine et d’esprit volatil vont cohabiter pendant longtemps. Le dictionnaire de Trévoux donne encore en 1771 pour alcooliser :  « terme chimique, pour réduire en poudre qui est très subtile  et pratiquement indivisible, ou purification d’esprits et d’essences des impuretés et du phlegme qu’ils pourraient contenir ».

4.  La maîtrise de la distillation
4-1  Les défauts des  alambics classiques
Les alambics en usage jusqu'à  la fin du 18 ème siècle conviennent bien pour la distillation d'huiles essentielles mais sont très insuffisants lorsqu'il s'agit de distiller de l'alcool.  Leur construction et leur mode de fonctionnement présentaient plusieurs défauts recensés par Chaptal [23]  : 
1° ) les vapeurs d'eau et d'alcool passaient dans le serpentin de sorte qu'on obtenait une eau-de-vie très-faible, qu'il fallait soumettre à une seconde distillation. 
2°) l'eau du bain du serpentin ne tardait pas à s'échauffer,  la condensation imparfaite entraînait une grande déperdition de vapeurs alcooliques.
   3°) Un coup de feu un peu fort faisait monter une grande masse de mélange aqueux et on n'obtenait qu'une eau-de-vie très-faible. Il fallait donc surveiller le feu.
4°) On ne pouvait pas régulariser la chaleur ni l'appliquer également à toute la masse du liquide. L'eau-de-vie obtenue avait souvent un goût de brûlé et elle était rarement limpide.
  
4-2  Le passage aux alambics industriels

La nécessité d'obtenir à partir du vin de l'alcool le plus concentré possible a engendré des progrès considérables qui ont abouti finalement à la colonne à distiller qui nous est familière.

4-2-1  Les  précurseurs : Glauber, Chaptal,  Adam, Bérard.

Glauber [24] décrit en 1658  plusieurs innovations dont la plus importante consiste à multiplier les vases dans lesquels se condensent les vapeurs. Les vapeurs qui s'échappent par la distillation, passent dans un vase entouré d'eau froide; de ce premier vase, celles qui ne sont pas condensées passent dans un second, de ce second à un troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que la condensation soit parfaite. A l'aide de cet appareil on peut obtenir divers degrés d'alcool, selon que la condensation se fait dans le premier, le second ou le troisième de ces vases.

  Chaptal construit vers 1780 un alambic à large chaudière qui permet de chauffer plus régulièrement et moins fortement le vin à distiller et d'éviter partiellement le goût de brûlé.

Plus de 20 brûleries qui s'établissent dans le bas Languedoc utilisent cet appareil. Cependant, il fallait rectifier 4 ou 5 fois pour obtenir de l'alcool dit trois-six, le plus fort en usage. De ce fait, les distillateurs languedociens étaient mal placés dans la concurrence avec l'étranger (en particulier avec les distillateurs écossais d'alcool de grain car le grain fermenté contenait une plus grande quantité d'alcool). 

Les frères Argand, de Montpellier, apportent un progrès notable avec l'invention du chauffe-vin en 1780 (on se sert de vin pour condenser les vapeurs), mais les perfectionnements décisifs conduisant à un meilleur échange entre le liquide et la vapeur, n'apparaîtront qu'au début du 19ème siècle.

Edouard Adam, établi comme marchand de mousselines à Nîmes en 1790, inventa un appareil, inspiré de l'appareil de Woulfe, qui fut présenté à la Faculté de Médecine de Montpellier en mars 1801 avec un tel succès qu'il fut accusé d'avoir triché et dut refaire la démonstration. Il obtint le 29 mai 1801 un brevet pour un « procédé à l'aide duquel on retire du vin, par une seule chauffe, la totalité de  l'alcool qu'il contient ». Les vapeurs sortant d'une première chaudière de vin chauffée par le fourneau entrent dans une nouvelle chaudière remplie de vin et portent le liquide à l'ébullition. Les vapeurs sortant de la deuxième chaudière entrent dans une troisième et portent le vin à l'ébullition. Ainsi, il suffit de chauffer la première chaudière pour opérer la distillation, avec une économie de combustible, de temps et de main d'oeuvre. De plus les vapeurs alcooliques ne peuvent pas sentir le brûlé.

Dans chaque vase, une partie de l'eau se condense et est renvoyée à la chaudière, mais l'alcool ne se condense pas et va jusqu'au serpentin final. Chaque vase condensateur atteignant une température donnée fournit un alcool de degré donné ; on peut ainsi obtenir tous les degrés d'alcool depuis l'eau-de-vie de commerce jusqu'à l'alcool le plus pur.

C'est Laurent Solimani, professeur de chimie à l'Ecole Centrale du Gard à Nîmes, qui avait montré l'appareil de Woulfe à Adam et l'avait fortement aidé à concevoir son appareil. Il reproche bientôt à Adam de passer sous silence son rôle dans l'invention et  prend le 25 juillet 1801 un brevet pour un appareil de sa conception.

Isaac Bérard, fabricant d'eau-de-vie à Gallargues, entre Nîmes et Montpellier, breveta en 1805, après 13 ans de travail, un appareil très innovant, plus simple, beaucoup moins cher et plus sûr que celui d'Adam. Le cylindre analyseur à plaques métalliques qu'il invente est un moyen de multiplier les compartiments qui jouent, mieux que les vases de l'appareil d'Adam, le rôle d'échangeurs entre liquide et vapeur. L'appareil de Bérard fut généralement adopté, aux dépens de celui d'Adam, qui attaqua Bérard comme contrefacteur. Des procès interminables aboutirent en 1811 à la création d'une société par association entre tous les inventeurs (Adam, Bérard et Solimani). 

4-2-2 Cellier :  l'invention de la colonne à plateaux

Napoléon avait proposé un million de francs pour un procédé qui permettrait la production industrielle de sucre raffiné cristallisé, devenu rare à cause du blocus. Jean Baptiste Cellier Blumenthal (1768-1840) était Français mais possédait en Belgique une fabrique de sucre de betteraves. Il prend en 1813 un brevet pour un alambic à jet continu. 

Il a eu l'idée de remplacer les échangeurs horizontaux placés à la sortie de la cucurbite par une colonne verticale composée d'un empilement de plaques trouées. Chaque plaque ou plateau contient une couche de vin d'environ un pouce d'épaisseur est est alimenté par du vin chaud qui coule de l'un à l'autre en permettant l'évaporation de l'alcool; le résidu se rend dans la chaudière, où se termine la distillation.  Ce système qui permet d'augmenter le rendement et la qualité de l'alcool et de travailler en continu conduit une grande diminution des coûts. L'appareil, modifié ensuite par Ch. Derosne (1818) était produit par la maison Cail. C'est le « père » des colonnes à distiller modernes.

4-2-3 Les colonnes actuelles 
Les colonnes à plateaux sont de trois types qui visent tous à assurer un bon échange entre le liquide et la vapeur. Les plateaux du type tamis présentent des trous qui retiennent le liquide que la vapeur traverse. Les plateaux à chapeau présentent au dessus de chaque trou un chapeau, de sorte que la vapeur est dirigée vers le bas et doit passer dans le liquide. Les plateaux à valve présentent des perforations couvertes par des chapeaux mobiles. La vapeur soulève le chapeau et est dirigée de manière à passer horizontalement dans le liquide.  La période 1900-1930 voit le développement de colonnes à remplissage très efficaces. Les colonnes contenant un élément  en rotation ont été décrites par Podbielniak en 1935. Le dispositif a été ensuite modifié pour inclure une bande métallique tournant à grande vitesse (1000-2500 tours/mn). Baker et al. [25] décrivent une colonne de18 pieds et de  0,6 cm de diamètre ayant une efficacité de 70 plateaux théoriques.
Conclusion
Les alambics capables de fournir des eaux et des huiles essentielles ont été mis au point dès l'Antiquité sous une forme assez voisine de leur forme actuelle . Au contraire, la distillation correcte de l'alcool avec ces alambics a demandé, pendant plusieurs siècles, des opérations répétées, coûteuses en temps et en énergie. Sous diverses influences économiques, les inventeurs du début du 19ème siècle ont permis le passage, en une vingtaine d'années, des alambics anciens à la colonne à distiller. Cependant la théorie de la distillation ne sera établie que plus tardivement.

Bibliographie

[1] Sticklmair J.G. , Fair J.R.  . Distillation. Principles and practice. Wiley, 1998
[2] Charas M. , Pharmacopée royale Galénique et chymique. Tome 1. Paris, chez Laurent d'Houry.  1691.
[3] Aristote. Météorologiques, Livre II, Ch. iii.
[4] Dioscoride.  Materia medica. v., 110.
[5] Pline. Histoire naturelle. XXXIII, 8
[6] Pline. Histoire naturelle. XV, 7 
[7] Levey M.  Evidences of Ancient Distillation, Sublimation and Extraction in Mesopatamia, Centaurus, T IV, 1955, p. 22-3
[8] Hoefer F.  Histoire de la chimie.1866, Didot, Paris. Tome 1, p 261
[10] Berthelot M. Figures des appareils des alchimistes grecs. Ann. Chim. Phys. 1887, 6, t.XII,   p 145-199
[11] Hoefer F. Histoire de la chimie.1866, Didot, Paris. Tome 1, page 270.
[12] Jabir ibn Hayyan, (Geber) De alchimia, libri tres, Argentorati, 1531. Bibliotheca Complutense, fondo historico.
[13] Al Kindi. Kitab Kimya al-’Itr wa al Tas’idat  : Livre sur les parfums, la chimie et la 
distillation. Cité par L. Plouvier in L'Europe se met à table, 2000, Bruxelles.
[14] Brunschwig Hieronymus. Liber de arte distillandi de simplicibus. (1500) et Liber de arte distillandi de compositis (1512) Strasbourg.
[15] Porta Giambattista Della.  De distillationibus, libri IX. 1609 , Strasbourg, chez Lazare Zetner
[16] French J.  The Art of Distillation. ...Six Books .....(1651)
[17] Savonarole M. De arte conficiendi aquam vitae. La Haye, 1532. (cf. Hoefer, p 491)
[18] Pline. Histoire naturelle. XIV, 6.
[19]  Berthelot M. Revue des deux mondes, 1892, 96, 286-300.
[20] Thaddaeus Florentinus. (1223-1303) De virtutibus aquae vitae.
[21] Arnaud de  Villeneuve. De conservanda juventute, vers 1309. cité par Berthelot, Ann Chim Phys. 1891, 6ème série, t. XXII, 469-475
[22] Jean de Roquetaillade (Johannes de Rupescissa)  De consideratione Quintæ essentiæ rerum omnium (vers 1350)  Traduction : La vertu et propriété de la quintessence de toutes choses, mise en François par Antoine du Moulin Maconnais, valet de chambre de la Royne de Navarre. Lyon, Jean de Tournes, 1659.
[23] Chaptal J. A. Chimie appliquée à l'agriculture. Tome 1. Paris, chez Madame Huzard, 1823.  
[24] Glauber J. R. , Descriptio artis distillatoriœ novae, Amsterdam, 1658.

[25] Baker R.H., Barkenbus C. Roswell C.A. A Large Spinning-Band Fractionating Column.  Ind. Eng. Chem., Anal. Ed. 1940, 12, 468-71.

1 commentaire:

  1. Je suis à la recherche d'autres articles sur le même sujet.
    Celui là est passionnant, si vous en connaissez d'autres pouvez vous me les faire parvenir à formateur.bruno@gmail.com
    Merci d'avance

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